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Interim story
13 septembre 2008

Mission 1

Mes journées sont plutôt calmes en ce moment. En fait, je n'ai pas envie de bosser pour l'instant.Ah! qu'il est bon de faignanter à loisir, de se lever pour se recoucher aussi sec si le temps est mauvais dehors. Je lis, je traine, vais me balader la journée avant de retrouver mes potes le soir. Ah, que cette vie est douce...Après un rapide coup d'œil sur l'état de mes finances et un bref calcul du cout de ma vie, j'ai encore une semaine devant moi...avant de retourner au turbin.

Alors je profite et parfois, des souvenirs émergent de nulle part et l'autre jour, alors que j'étais hyper occupé à la préparation d'un soufflé au chocolat à l'élaboration diaboliquement compliqué, je me suis rappelé de mes premières expériences en interim. J'étais magasinier, dans une très très grande surface, le nom importe peu tant elles se ressemblent toutes.

J'étais "détaché" au "département" fromage, et mon boulot consistait essentiellement à alimenter le rayon du gruyère râpe. Et les quantités de gruyère râpée consommée quotidiennement dans notre pays sont, croyez-moi, proprement hallucinantes.

Je passais l'essentiel de mon temps à décharger des palettes entières, arrivant difficilement à contenir la demande de la clientèle féroce et avide qui s'emparait de ses sacs comme si leurs vies en dépendait.
Mais le souvenir qui m'est revenu, est celui du chef de rayon. Et chef de rayon, dans une grande surface, est certainement un des pires boulots que l'on puisse imaginer. Et ceci pour plusieurs raisons :

Vous travaillez dans un environnement inhumain,les employés pressurisés, maintenus à température constante dans ces grandes surfaces me font penser à des zombies.Tous les gestes sont mécaniques. On ne parle pas, personne n'est là par choix.D'ailleurs il n'existe pas de cursus scolaire pour bosser dans ce genre d'environnement et ce n'est surement pas un hasard.Un jour, j'ai demandé à un de mes jeunes collègues ce qui l'avait amené à choisir ce boulot, il venait de signer son CDI, le Graal du chômeur.Et il m'a répondu : "L'argent, bien sûr.Mais tu sais, ce n'est pas si dur, j'ai beaucoup déprimé les 3 premiers mois mais là, ça va."
"Ça va" qu'il m'a dit, moi je n'ai pas osé lui dire que j'avais pas l'impression que ça allait, et que si les 3 premiers mois sont si angoissant,les 20 prochaines années risquent d'être longues,très longues.Mais là, je parle des gars comme moi, des petites mains facilement interchangeables et peu payées.

Le chef de rayon lui semble-t-il est plutôt bien payé, sa rémunération est de toute façon en rapport direct avec les résultats qu'il obtient dans son rayon. Et il gère tout, les commandes, les prix, la mise en place d'opérations spéciales...Le BA-ba du commerce : acheter bon marché pour revendre le plus cher possible. Mais même si la paye est copieuse, il faudra m'expliquer comment trouver le temps de dépenser son argent lorsque l'on travaille du Lundi au Samedi inclus, que l'on commence à 6h00 pour finir à 22h.
Et quand je pense qu'on va bientôt leur demander de bosser le Dimanche...les pauvres.

Leur rayon, c'est leur univers, leur domaine, ils en sont responsables et dans leur milieu, la pitié n'existe pas, tout se règle à coup de tableau, de calculs de marges et de bénéfices. Les réunions hebdomadaires sont parfois pour le chef de rayon non-performants, une véritable mise à mort.Et croyez-moi, on tombe vite en disgrâce lorsque les chiffres ne sont pas en adéquation avec les objectifs ahurissants imposés par la direction.
Les chefs de rayon vivent donc dans un stress permanent,paranoïaque. Je me suis souvent accroché avec eux, ils trouvaient que je n'allais pas assez vite, ou que le "facing"(technique consistant à ramener tous les produits le plus en avant du rayon pour créer l'illusion de rayonnages bien remplis)n'était pas à la hauteur. Mais moi, je reste toujours calme, ils me font de la peine et je ne veux pas les accabler, alors dans ce genre de situation, et ça fait partie d'un des avantages suprêmes de l'interim, je leur tends ma "feuille de présence" que j'ai toujours sur moi, et je leur dis : "Ok, signez moi ma feuille, et je me casse.". Et là, la réaction est invariable, stupeur, ils n'ont aucune emprise sur moi. Mais leur boulot les tient par les couilles, et si je me casse maintenant, avant l'ouverture du magasin, les clients vont trouver des rayons vides, n'achèteront pas leur gruyère râpé favori, et ils connaitront leur "black day". Un peu comme à la bourse, le krack du rayon gruyère râpé. Et ce sera retentissant, les chiffres sont ajustés en temps réel.  Le lendemain matin, tous le monde verra une courbe de progression des ventes s'effondrer, convoqués par les hautes instances ils seront mis au pilori devant tout le monde.Les précédents états de service, aussi bon soient-ils, ne changeront rien, ce qui compte dans ce business, c'est le présent, la pression permanente du chiffre. Alors généralement dans cette situation, soit ils s'excusent et me demandent de finir avant d'appeler mon agence d'interim, de se plaindre de moi et d'exiger un remplaçant pour le lendemain matin, c'est ce qui arrive le plus souvent, ou soit je sens pointer une lueur d'humanité dans leur œil, j'ai l'impression qu'ils se questionnent, et la question la plus évidente qui doit les frapper à cet instant est surement "qu-est-ce-que je fous là?", c'est fugace, mais ils saisissent l'espace d'un instant l'absurdité de la situation, et des rapports que ça génère.De instrumentalisation de leur personne.

Cette réaction est  rare, mais existe. Une fois, j'ai presque sympathisé avec un chef de rayon. Il s'occupait de la librairie, autant dire qu'aux yeux des autres il jouissait d'une image d'intellectuel. Mais vendre du gruyère ou des magazines et des stylos, ce sont les mêmes contraintes. Nous sommes allés boire un café, un jour ensemble alors qu'il s'accordait une pause. J'ai pensé qu'on allait pouvoir parler littérature, culture mais c'était horriblement cafardeux,Ces projets d'avenir consistait à endurer la situation encore une petite quinzaine d'années, histoire de rembourser le crédit de la maison et de la voiture. j'en ai encore froid dans le dos...Je te souhaite d'y arriver l'ami...

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